Encore un ! direz-vous, non sans raison. Comment demeurer au sommet de son art quand on publie un nouvel opus chaque année. C’est difficile, et Amélie Nothomb nous l’a prouvé par la faiblesse de certains de ses derniers romans qui semblaient n’avoir été écrits que nous montrer son étrange visage sur les étales des librairies.
Pourtant, il faut s’y faire, un Nothomb, bien plus qu’une histoire, plus ou moins inventive, c’est un style et il nous faut bien admettre que le sien est inimitable.
Le Voyage d’hiver ne nous présente donc pas une histoire très nouvelle, Beigbeder et Moix ont déjà, il y a peu, pris pour sujet le détournement d’un avion dans un but terroriste. Elle s’y colle à son tour. Elle entre dans la peau du kamikaze, avec plus ou moins de bonheur (elle a du mal à entrer dans la peau d’un homme).
Mais pourquoi ne pouvons-nous pas abandonner la lecture ? Pourquoi nous sentons-nous obligés de la poursuivre sans la moindre pause ? Nous sommes aspirés par un style précieux, fleuri, teinté d’une ironie douce amère, un style difficile à décrire tant il est envoutant. Je ne résiste pas au plaisir de vous livrer quelques passages :
« Tomber amoureux l’hiver n’est pas une bonne idée. Les symptômes sont plus sublimes et plus douloureux. La lumière parfaite du froid encourage la délectation morose de l’attente. Le frisson exalte la fébrilité. Qui s’éprend à la Sainte-Luce encourt trois mois de tremblements pathologiques. »
« Comment le terroriste de base pourrait-il ne pas rêver d’accéder, d’une manière ou d’une autre, à ces fabuleux engins volants? Terroriste de train, de bus ou de dancing, c’est minable. Le terroriste aspire forcément au ciel. […] Jamais terroriste n’a agi sans idéal -idéal atroce, idéal tout de même- […] Cet idéal, qu’il soit religieux, nationaliste ou autre, prend toujours la forme d’un mot. Koestler dit avec raison que ce qui a le plus tué sur terre, c’est le langage. »
Ce qui plait dans ce style… je ne sais pas vraiment, peut-être cette sorte de nonchalance que nous ressentons, cette facilité à produire des phrases sublimes sans se forcer, ce « je peux faire tellement mieux, mais c’est déjà pas mal » qui transpire à chaque page et qui nous entraîne dans une sorte de léthargie communicative et béate.
Au cours de ma lecture, une phrase éclata à mon visage, me plaçant face à l’inéluctabilité du temps qui passe. Pour vous, elle ne sera qu’espoir, retenez-la, et faites-en un crédo :
« A quinze ans, il y a une ardeur de l’intelligence qu’il importe d’attraper : comme certaines comètes, elle ne repassera plus. »